Fatema Mernissi : Aujourd’hui, personne ne veut s’identifier à la violence

Réflexions sur la violence des jeunes à l’Espace culturel Mexique


Alain Bouithy
Vendredi 1 Mai 2015

Fatema Mernissi : Aujourd’hui,  personne ne veut s’identifier à la violence
Mener une réflexion sur la violence, qu’elle qu’en soit sa forme, est un exercice complexe qui offre l’occasion d’en apprendre beaucoup sur les raisons incitant certaines personnes, à un moment de leur vie ou de leur parcours, à recourir à cet acte et d’en savoir aussi sur l’entourage de ces derniers et la part de responsabilité de la société.
Cette réflexion est d’autant plus enrichissante quand elle porte sur la violence des jeunes, une des plus caractéristiques des sociétés d’aujourd’hui.
Ainsi, on peut imaginer l’intérêt que représente le livre «Réflexions sur la violence des jeunes » pour qui voudra comprendre cette frange de la société dont on ignore encore bien de codes. 
Il est à rappeler que cet essai très édifiant sur le phénomène de la violence, écrit sous la direction de la sociologue Fatema Mernissi, est l’œuvre d’un collectif de journalistes, sociologues et acteurs associatifs.
Ce livre, paru aux éditions Le Fennec, a été présenté récemment à l’Espace culturel Mexique, à Rabat. En présence notamment de trois des auteurs et l’ambassadeur du Mexique, Andrés Ordóñez.
Après avoir retracé la genèse du projet, expliqué les raisons qui ont conduit à la publication de ce livre et donné un bref aperçu sur le phénomène « Tcharmil » qui a inspiré cet essai, Fatema Mernissi a invité les auteurs présents à partager leur expérience de terrain avec l’assistance. Une occasion d’en savoir plus sur ce mal qui ronge les jeunes Marocains et la détresse des familles souvent abandonnées à leur propre sort.
Prenant la parole en premier, Ahmed Ghayet, l’écrivain et président-fondateur de l’Association «Marocains pluriels», a d’emblée souligné que «le Maroc s’en sortira par ses jeunes», estimant que «l’une des clefs qui peut permettre à la jeunesse marocaine de s’en sortir est la mixité, la culture ».
A propos de la violence des jeunes et des moyens de s’en prémunir, il a rappelé une vérité bien connue de tous : «On ne naît pas violent ». Cependant, a-t-il poursuivi, « à force de vivre dans des poches d’exclusion où règnent le chômage et la misère, on force les jeunes à chercher une image valorisante ». Malheureusement, « quand un jeune des quartiers populaires réussit, il s’en va et les jeunes qui restent n’ont plus que des dealers comme seule image ».
Plus grave encore, a-t-il estimé, c’est que le Maroc commet les mêmes erreurs que la France en construisant de nouvelles villes où l’on ne trouve pas de centres culturels, d’espaces où les jeunes peuvent se retrouver : tout est concentré.
Mais pour Ahmed Ghayet, la vraie question est comment faire pour que cette jeunesse ne sombre pas dans la violence, l’embrigadement criminel, la petite délinquance, l’immigration clandestine,… sachant que l’école est défaillante et que les parents ont démissionné ?
Quoi qu’il en soit, ce dernier estime aussi important «qu’on cesse de ne prévoir que des situations de confrontation entre la police et les jeunes ».
Pour sa part, Fatma Elbouih, membre fondateur de la Fondation de l’Observatoire marocain des prisons, a fait observer que « si aujourd’hui on parle de ce pays  comme un modèle de stabilité, c’est une chance pour ses citoyens qui s’activent davantage et font face à ces problématiques », rappelant le rôle important des chercheurs sur ces questions.
Relatant son expérience sur le terrain avec les ex-détenus et son implication dans la réinsertion de ces derniers, elle a rappelé qu’« il n’y a pas que le sécuritaire qui doit primer » et que la culture constitue un excellent moyen de « véhiculer le message de paix, de tolérance et de changement ».
Notre consœur Khadija Alaoui, qui a travaillé pendant huit ans sur des questions en rapport avec la jeunesse et les  mères célibataires, a de son côté indiqué que cette expérience a été l’occasion, pour elle, de rencontrer des mères d’enfants violents. Et d’en savoir plus sur les raisons qui font que celles-ci ne parvenaient pas à juguler cette violence.
Si la solution est en elles-mêmes, Khadija Alaoui rappelle toutefois qu’en plus du fait que ces mêmes mères ne parvenaient pas à s’imposer, de nombreux pères sont démissionnaires.
Par ailleurs, a-t-elle constaté, beaucoup de jeunes ne se contentent pas de peu mais veulent exister par tous les moyens ce qui fait que certains sombrent dans l’extrémisme.
Pour elle, il n’y a pas de doute que les origines sont diverses. Parmi celles-ci : la famille, l’environnement, les conditions matérielles, l’absente de structure…
Une des solutions serait ainsi de donner aux femmes les capacités de renforcer les structures et créer des espaces d’expression pour les jeunes afin que ces derniers ne puissent traîner dans les rues et, surtout, qu’ils puissent exorciser leur haine.
Enfin, estime-t-elle, « la police doit être plus présente et quelquefois se débarrasser de la casquette de l’autorité pour mieux communiquer avec les jeunes».
Invité à cette rencontre, le commissaire Bahi s’est également exprimé, assurant l’assistance de ce que « la direction nationale de la sécurité travaille à s’ouvrir à travers les jeunes commissaires que nous sommes pour montrer que nous ne sommes pas seulement des représentants de la loi et que nous pouvons aussi encadrer les jeunes et les aider à participer au développement du pays ». Et de souligner : «Les liens familiaux au Maroc reste notre force pour mener à bien la stabilité du pays ».
A propos du phénomène « Tcharmil », ce dernier a rappelé que tous les Marocains ont été contre ce phénomène, « ce qui explique qu’il a disparu au bout de trois mois ».
Ajoutons que la parole a également été donnée à deux jeunes lors de cette rencontre. Après avoir partagé leurs expériences dans le cadre de leurs activités associatives respectives, chacun a donné son avis sur cette problématique. On retiendra de leurs interventions le fait que la société civile avait une grande part de responsabilité dans l’avènement de la violence et que les jeunes aimeraient bien mener une vie tranquille sans avoir à entrer en conflit avec la police. Pour éviter que des jeunes ne tombent dans la violence, ils ont chacun appelé aussi à la création d’espaces culturels pour que des jeunes s’y retrouvent et s’épanouissent.
Très ravi d’avoir abrité cette rencontre, l’ambassadeur mexicain Andrés Ordóñez a confié à Libé que son rêve est que l’espace culturel du Mexique devienne un outil à la portée de la société marocaine. « J’ai une admiration pour la société marocaine, son dynamisme, sa capacité de se renouveler  continuellement sans perdre ses racines. Cela mérite  tout l’appui d’une ambassade comme celle du Mexique qui partage plusieurs défis avec le Maroc».
« Je pense que le message principale de ce livre est cette volonté d’établir le dialogue, de partager la responsabilité entre le gouvernement, la société civile et les parents. Par ailleurs, la présence d’un responsable de police dans la discussion  est très touchante et suscite l’admiration».
Il est à souligner que le livre «Réflexions sur la violence des jeunes » va être traduit prochainement en espagnol. En octobre précisément, a-t-on  indiqué.
Pour rappel, le livre est signé de Khadija Alaoui, Abderrahim Al Atri, Reda Dalil, Fatna El Bouih, Ahmed Ghayet, Youssef Madad, Hanane El Ouadrhiri  et Jallal Taoufiq.
 


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